• Lorsque, il y a trois mois, le condamné Languille fut exécuté à Orléans, on parla beaucoup d’une observation prise immédiatement après la décapitation par M. le  docteur de Beaurieux. 

    La Revue médicale publie aujourd’hui la communication adressée à ce sujet par l’éminent praticien à la Société de médecine du Loiret. Comme, parait-il, l’expérience a été passablement défigurée, à l’époque où elle a été faite, par les récits des reporters, il est intéressant de résumer la communication du docteur de Beaurieux. 

    L’auteur fait remarquer tout d’abord que les phénomènes observés après la décapitation peuvent varier selon que les condamnés gardent leur sang-froid et la complète possession d’eux-mêmes, ou qu’ils sont dans un état de prostration physique et morale. Dans le cas particulier de Languille, l’observation était particulièrement intéressante, parce qu’il fit preuve, depuis le moment où il avait été prévenu de l’approche de l’heure suprême, d’un calme et d’un courage extraordinaires. 

    Dès que Languille fut jeté sur la bascule, le docteur se plaça en avant de l’exécuteur et des montants de la guillotine, exactement au-dessus de la tête du patient et de l’auge en métal destinée à la recevoir. Il ne quitta pas la tête des yeux et ne se laissa distraire par aucun des détails de l’exécution. Après quelques secondes d’attente et la perception d’un bruit sourd, il vit la tête, comme projetée, tomber dans l’auge. Elle était tombée sur la section même du cou. Le docteur n’eut donc pas à la saisir dans ses mains pour la redresser. 

    Immédiatement après la décapitation, les paupières et les lèvres s’agitèrent pendant cinq ou dix secondes dans des contractions irrégulièrement rythmées. Ce phénomène est connu. Il a été relaté par différents observateurs, notamment par le docteur Saint-Martin, de Rambervillers, qui a observé de nombreux cas de décapitation, et M. Deibler lui-même avait pris soin de prévenir le docteur de Beaurieux. 

    L’observateur attendit la fin de ces mouvements réflexes, c’est-à-dire quelques secondes.  Ici, nous lui laissons la parole : 

    « Les mouvements spasmodiques, dit-il, cessèrent. La face se détendit; les paupières se refermèrent à demi sur les globes oculaires, laissant voir seulement la blancheur des conjonctives absolument comme chez les agonisants, qu’il nous est donné de voir tous les jours dans l’exercice de notre profession ou comme chez ceux qui viennent de mourir. C’est alors que j’appelai une première fois, d’une voix forte et brève : « Languille ! » Je vis alors les paupières se soulever lentement sans aucune contraction spasmodique (j’insiste à dessein sur cette particularité) mais d’un mouvement régulier, net et normal, comme cela se passe pendant la vie chez les gens qu’on réveille ou qu’on l’arrache à leurs réflexions. Puis les yeux de Languille se fixèrent d’une façon précise sur les miens et les pupilles accommodèrent. Je n’ai donc pas eu affaire à un regard vague et terne, sans expression aucune, comme nous pouvons l’observer tous les jours chez les mourants que nous interpellons; j’ai eu affaire à des yeux bien vivants qui me regardaient. 

    « Au bout de quelques secondes, les paupières se refermèrent lentement et sans secousses, et la tête s’offrit à moi dans les mêmes conditions qu’avant mon appel. 

    « C’est alors que je renouvelai cet appel et, de nouveau, sans spasme, avec lenteur, les paupières se soulevèrent et les yeux bien vivants se fixèrent, sur les miens avec plus de pénétration peut-être encore que la première fois. Puis, il y eut une nouvelle occlusion  des  paupières, moins complète cependant. 

    « Je tentai un troisième appel. Rien ne bougea plus. Les yeux prirent l’aspect vitreux qu’ils ont chez les morts. 

    « Je viens de vous rapporter exactement, rigoureusement, ce qu’il m’a été donné d’observer. Le tout avait duré de 25 à 30 secondes. » 

    Après ce récit, saisissant dans sa sobriété scientifique et voulue, le docteur de Beaurieux conclut, d’une façon formelle, à la persistance des sens de l’ouïe et de la vision vingt-cinq ou trente secondes après la décapitation. 

    La grande affaire, c’est de savoir si cette persistance indique une survivance de la conscience, et’ par conséquent de la souffrance. 

    A ce propos, l’auteur cite l’opinion de plusieurs de ses confrères. Le docteur Hartmann croit que le phénomène est dû à une sorte de mouvement devenu instinctif par l’habitude, contracté dès la première enfance, de chercher à voir d’où vient un bruit qui frappe l’oreille. Suivant le Dr Hartmann, les phénomènes eussent pu être les mêmes si le Dr de  Beaurieux  avait poussé un cri quelconque au lieu d’appeler le supplicié par son nom. 

    Suivant le Dr Langlois, il existe des relations directes entre les nerfs de l’oreille et ceux de l’œil. Les mouvements des paupières et du globe peuvent donc s’expliquer par ces relations, sous l’influence du cri, sans que le « cerveau supérieur », c’est-à-dire la conscience, ait eu à y prendre part.  

    Le Dr Manouvrier dit nettement : « Si le décapité remue les yeux, c’est qu’il a entendu. » 

    Et le Dr de Beaurieux conclut que si l’on admet sans réserves la survie du « cerveau  inférieur », il ne voit pas pourquoi l’on nierait la survie du cerveau supérieur, c’est-à-dire de la conscience. Il reconnaît d’ailleurs que, la « perception consciente » ne pouvant nous être révélée que par le sujet lui-même, le problème est insoluble, scientifiquement parlant. 

    Quoi qu’il en soit, il y a eu là, incontestablement, une belle et courageuse expérience.  Mais, en en terminant le récit, l’observateur écrit cette phrase :

    « Dans tous les cas, si la conscience survit, et avec elle la souffrance, cette survie est assez courte pour qu’elle n’aggrave pas beaucoup la peine capitale, et le supplice de la guillotine me semble réduire à son minimum la douleur du supplicié. » 

    Cette philosophie semble quelque peu optimiste. Si la conscience subsiste pendant vingt-cinq ou trente secondes, qui sait quel océan de souffrances peut contenir cette demi-minute? Maintenant, il est évident qu’il doit tout de même être « plus agréable » d’être guillotiné qu’écorché vif avec assaisonnement de tenailles rouges, d’huile bouillante et de plomb fondu. 

    Louis Peltier. « Gil Blas. » Paris, 1905.
    Illustration : Sleepy Hollow La Légende du cavalier sans tête. Tim Burton, 1999.


    votre commentaire
  • Un magazine rapporte, d’après un texte anglais, une curieuse anecdote relative à l’effet produit, au dix-huitième siècle, dans un petit village de l’Angleterre, par un ventriloque faisant parler un ours.

    Un jour de marché, dans le petit village d’Hopfield, la foule se pressait autour d’un ours savant que montrait un bateleur. Un voyageur tant soit peu ventriloque, qui se trouvait parmi les curieux, s’approcha du bateleur et d’un ton très sérieux, lui demanda si son ours parlait.

     Interrogez-le et vous saurez, répond le bateleur croyant à une facétie de mauvais plaisant.

    Le ventriloque s’approche de l’ours et lui demande :

     De quel pays êtes-vous, mon gentleman ?
    — Des Alpes, en Suisse, répond l’ours d’une voix sonore.

    Les spectateurs saisis d’étonnement se reculent de quelques pas. Le ventriloque continue:

     Y a-t-il longtemps que vous appartenez à votre maître ?
    — Assez longtemps pour que j’en sois ennuyé, répond l’ours.
    — Est-ce qu’il n’est point bon pour vous ?
    — Oh ! oui, répond l’ours, comme un forgeron avec son enclume.
    — Et que ferez-vous pour vous venger ?
    — Un de ces jours, je le mangerai comme une rave à mon déjeuner.

    A ces mots la foule se recule précipitamment, avec terreur. Le bateleur veut tirer la chaîne de l’ours, mais celui-ci fait entendre un sourd grognement, et la foule épouvantée, croyant que l’ours allait mettre sa menace à exécution, s’enfuit éperdue de toutes parts.

    Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la ventriloquie a été considérée comme sorcellerie et pour certains savants fanatiques ne s’expliquait que par l’intervention du démon en personne. Ce n’est guère qu’en 1770 que l’Académie des Sciences étudia sérieusement la ventriloquie et essaya de l’expliquer.

    « L’Indépendant de Mascara. » 26 août 1886.


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires